Joël Cuzon du Rest nous a quittés le 30 avril 2017, à l’âge de 96 ans. Ses parents, ses amis, les membres de l’Association Bretonne comme ceux du Club de Bretagne garderont le souvenir de sa silhouette élancée comme de son attitude élégante. Sa voix, toujours posée, exprimait une pensée claire. Il avait ce sens de l’humour un peu british, qu’annonçait un soudain pétillement du regard.
Ses obsèques furent célébrées le 4 mai dans la chapelle Saint-Philibert, édifiée en 1648, enchâssée dans ce paysage marin qu’il aimait tant, celui dans lequel il avait choisi de venir prendre sa retraite après avoir exercé à Paris sa carrière professionnelle. Les deux fontaines proches de la chapelle – celle aux bêtes de 1649 et celle à la croix, dotée de vertus guérisseuses – constituèrent pendant longtemps le seul point d’eau du village. À proximité, le chemin des goémoniers longe la rivière de Saint-Philibert et mène à l’anse de Tréhennarvour puis à la pointe de Men-Er-Beleg, comme un doigt pointé vers le large.
Cérémonie émouvante et recueillie sous la voûte bleue constellée d’étoiles de cette chapelle à laquelle sont suspendues plusieurs ex-votos : un thonier, une reproduction de la frégate La Gloire, celle d’un trimaran. Au-dessus du retable du XVIIIe siècle un tableau évoque la mémoire de Saint-Philibert, venu d’Irlande sur une auge en pierre. Régis le Bouteiller, Président d’honneur de l’Association Bretonne, rappela sa mémoire pendant l’office religieux.
Les interventions de Joël, toujours pesées et pertinentes, témoignaient de la rigueur de sa réflexion. Homme de conviction, il avait la Bretagne chevillée au corps. Cet engagement le conduisit à fonder dès 1980, à Paris, le Club de Bretagne qui devint très vite l’un des rendez-vous de la diaspora bretonne. Déclarée le 5 août 1981 à la Préfecture de Police, l’association s’était donnée pour objet de renforcer les liens entre les membres de l’Aozadur Embregerien Vreizh (Association des chefs d’entreprise bretons). Elle eut d’abord pour siège le 91 avenue Kléber puis le 27 Quai de Bourbon. Les rencontres se déroulèrent dans le restaurant du Normandy Hôtel, puis au Centre Chaillot Galliera, avenue George V, plus récemment au restaurant La Coupole puis à l’École Militaire. En l’espace de 36 ans, près de trois cents rencontres se sont tenues avec des personnalités aussi variées qu’Alexis Gourvennec (Britany Ferries), Jean-Guy Le Floch (Armor Lux), Vincent Bolloré (Groupe Bolloré), Michel-Edouard Leclerc (Centres Leclerc), Yves Le Bacquer (Crédit Mutuel de Bretagne), Patrick Le Lay (TF1), Jean-Pierre Le Roch (Intermarché), Xavier Henry de Villeneuve (Banque de Bretagne), Louis Le Duff (La Brioche Dorée) et bien d’autres.
Comme le précisait l’article 2 de ses statuts : « Le Club de Bretagne rassemble des personnes physiques ou morales – acteurs de la vie économique, sociale ou culturelle – rapprochées par un intérêt commun porté à la Bretagne, à son identité et à sa culture ». C’est en présence de Joël, son président d’honneur, que fut célébré le 25e anniversaire de l’association, le mercredi 15 mars 2006, au Cercle Républicain, en présence de Jean-Yves Le Drian, alors Président de la Région Bretagne, et de Marylise Lebranchu. Joël avait choisi lui-même le logo du Club de Bretagne, un blason associant dans un cercle rouge deux symboles significatifs. D’une part la Croix Noire (Kroaz Du) qui fut au XIe siècle le premier drapeau breton. Pavillon de l’amirauté bretonne jusqu’en 1789, elle rappelait la vocation de notre peuple voyageur et de sa maîtrise des mers au cours des siècles. D’autre part figurait l’hermine, adoptée en 1316 dans l’emblème de Jean III, Duc de Bretagne. Ce logo entendait rappeler que ce qui fut une nation indépendante jusqu’en 1532 puis une « province réputée étrangère » unie à la France jusqu’en 1790, avant de perdre son indépendance lors de la Révolution française, constitue – aujourd’hui encore – un peuple attaché à ses racines, non pas de façon nostalgique, mais dans une volonté d’affirmer son identité pour se projeter dans le nouveau millénaire.
Revenu à Saint-Philibert, sa terre d’élection, au terme de sa vie professionnelle, Joël poursuivit son engagement au sein de l’Association Bretonne dont il devint membre du conseil en 1993. Surtout, dans ce même esprit qui l’avait animé lors de la fondation du Club de Bretagne, il fut l’orchestrateur efficace des Dîners de l’Association Bretonne, à Vannes. Le 31 mars 2003, célébrant le 10e anniversaire de ces rencontres, il choisit pour thème « Comment peut-on être breton aujourd’hui. Comment pourra-t-on l’être demain ? » S’interrogeant sur la place qui serait celle de la Bretagne dans le grand redécoupage régional de la France, initiée par le gouvernement, il affirma à cette occasion haut et fort qu’il serait impossible de détruire l’identité de cette région, ancrée dans 15 siècles d’histoire. Dans l’interview que lui consacra à cette occasion Le Télégramme, il affirma qu’il revenait désormais aux jeunes Bretons, après leurs aînés, de faire preuve d’engagement pour perpétuer le visage d’une Bretagne active et conquérante, tournée vers l’avenir mais fière de son passé.
Même si l’an passé, Joël avait choisi de ne plus siéger au conseil de l’Association Bretonne, il continua à s’intéresser à son action. Son exemple et son souvenir nous accompagnent. Nos pensées vont vers Mylène, son épouse, son fils Tanguy et sa fille Gwenola, sœur Pauline en religion.
Michel GERMAIN
Président d’honneur du Club de Bretagne
Membre du conseil d’administration de l’Association Bretonne