René-Yves Creston. Artiste Seiz Breur et ethnologue

Il n’aura échappé à personne le regain d’intérêt pour le mouvement des Seiz Breur auprès du grand public. Expositions, ventes aux enchères, galeries d’art,… Le monde de l’édition n’est pas en reste : après Xavier de Langlais, Jeanne Malivel, Yvonne Jean-Haffen, voici désormais René-Yves Creston.

Les Éditions Locus Solus nous avaient gratifiés  d’un bel ouvrage sur le même artiste en 2018, sachons gré aux  Éditions Ouest-France d’avoir publié cette somme chronologique issue de la thèse de doctorat écrite par sa petite-fille, Saphyr Creston. Rappelons que l’Association Bretonne avait vainement cherché à inviter Padraig pour évoquer la longue carrière de son père lors du congrès de 2009.

René Creston (1898-1964), plus connu sous le nom de René-Yves Creston, est issu de la petite bourgeoisie de Saint-Nazaire. Jeune conscrit réformé, il s’inscrit aux Beaux-Arts de Paris en 1917 par le truchement d’une bourse offerte par sa ville d’origine. Creston découvre alors un univers foisonnant, notamment le dadaïsme, qui fait de Paris la capitale artistique de l’entre-deux-guerres.

Ses premières productions dévoilent un caractère sensible aux idées nouvelles, probablement à mi-chemin entre le pacifisme et l’anarchisme, somme toute assez éloigné de la Bretagne folklorisée de Botrel et de Bécassine.

Creston en arrivant à Paris se savait déjà breton. Cette identité se renforce  au sein d’un cercle celtique parisien où il rencontre Jeanne Malivel en 1922. L’alchimie entre ces deux personnalités n’a certes pas été sans heurts et cet ouvrage le démontre : invariablement Creston est en conflit avec ses alter ego.  Ainsi les deux s’accordent pour éloigner la création artistique de tout artifice académique, mais divergent rapidement sur la place alors assignée à la foi : socle commun de la Bretagne ou bien naïve piété encouragée par le clergé ?

Un an plus tard, lors d’un voyage commun « à la découverte des pardons » au Folgoët, va naître une aspiration commune matérialisée par la création du mouvement des Seiz Breur (les Sept Frères en breton). Une amie de Malivel, artiste également, Suzanne Candré, deviendra son épouse et compagne de travail pour un renouvellement de la culture bretonne. Passons sur les inévitables tensions entre ego inhérentes aux expositions, mêlant habilement artistes et artisans, pour  découvrir l’étendue de la palette artistique de Creston, notamment l’ameublement que les Britanniques appelèrent les Arts and Crafts et qui devinrent les Arts Décoratifs en France. Tel un démiurge, Creston se passionne littéralement pour cette éthique moderniste, conjuguant production locale et innovation !

Le lancement de la revue Kornog en 1923 (« occident » en breton) dont le sous-titre bilingue revendique « Vers un art breton national moderne » pourrait être l’audacieux mais ô combien  compliqué résumé de la quête de Creston. Les créations pour les faïenceries Henriot de Quimper permettront à Creston d’avoir des rentrées pécuniaires plus régulières et une visibilité plus large. L’auteur ne nous cache pas le caractère pugnace, épuisant parfois, de l’artiste notamment lors de la mise en scène du Pavillon Breton lors de « l’Exposition internationale des Arts et Techniques dans la vie moderne » de 1937 à Paris, dont une gigantesque mappemonde maintes fois photographiée dans les revues d’alors.

Illustrations de menus, décors de salons : le traitement du corps humain par Creston est reconnaissable entre mille. Non que la composition soit cubiste, mais le volume, la puissance des sujets occupe le regard et la perspective devient alors une simple ligne de trait faite de masses moins abouties.

La facture sèche de Creston atteindra son apogée lors de la réalisation entre 1941 et 1947 d’une quarantaine de bois gravés pour le projet d’un ouvrage quasi-mythique : le Légendaire de Bretagne hélas jamais publié. Les reproductions montrent une certaine dureté voire violence des scènes de l’histoire de la Bretagne : Creston était fait pour l’estampe, labeur massif et minutieux. Cette œuvre avortée  aurait peut-être mérité plus de développement par Saphyr Creston.

Artiste sans concession et fuyant lui-même toute tour d’ivoire, Creston proclame : « Moi-même un jour j’ai quitté une vie qui brusquement m’apparut comme une caricature de la vie, pour revivre avec eux, pour me rapprocher encore plus du cœur simple de la nature […] ».  

On chercherait en vain une touche cubiste comme Jean-Émile Laboureur ou un foisonnement de couleurs tel Mathurin Méheut. À l’exception peut-être de Kan da gornog  (1932), texte ésotérique de Youenn Drezen, que Creston accompagne de rayons et entrelacs jaunes et bleus d’une modernité éblouissante, sans doute le plus bel ouvrage jamais publié au xxe siècle siècle sur la Bretagne.

Personnage aux multiples facettes, la vie de Creston ne laissera pas insensible le lecteur. Rappelons  aussi l’indéniable rôle qu’il joua au sein de la Résistance dès l’été 1940, membre du réseau du Musée de l’Homme puis ‒ étonnamment ou de façon cohérente ‒ son indépendance de ton sous l’Occupation, d’abord au sein de l’Institut Culturel de Bretagne puis pour Radio-Rennes.

Au gré des rencontres (on pense à Octave-Louis Aubert) et en réaction à la sourde assimilation de la Bretagne dans la standardisation des usages, une approche ethnologique pour ne pas dire scientifique prend le pas dans son œuvre.  Il aura ainsi le privilège de voyager en 1933 sur le Pourquoi pas ? du commandant Charcot, en route vers le Grand Nord.

Le costume breton sera néanmoins la grande œuvre littéraire de sa vie. Peut-être l’auteur sera-t-il en désaccord avec cette assertion, mais qui d’autre que Creston a autant œuvré dans le travail de collecte sur les guises locales ? Citons l’avis sans retour qu’il porta sur Méheut, songeant également au même thème d’étude : « je doute qu’il sorte quelque chose d’importance ».

Consécration académique pour celui qui sa vie durant sembla éviter le conformisme ambiant, Creston sera nommé conservateur du musée de Saint-Brieuc en 1961.

Ce splendide ouvrage est sans nul doute le plus complet sur René-Yves Creston. L’auteur, qui a pu accéder au journal intime de son grand-père et aux clichés familiaux, éclaire d’un jour nouveau la carrière du co-fondateur des Seiz Breur. Il aurait toutefois été éclairant pour le lecteur d’approfondir sa vision politique pour la Bretagne, son œuvre artistique ne devant pas faire oublier son soutien au Parti Autonomiste Breton, son compagnonnage avec le Parti communiste, enfin la présidence d’Ar Falz.