L’or brun des faucheurs de la mer

La particularité des paysages de la Bretagne a attiré nombre de peintres vers ses campagnes vallonnées ponctuées de chapelles, de rivières et de villages pittoresques. Mais cet environnement reste toutefois dominé par la proximité de la mer, des côtes et des ports qui demeurent naturellement des thèmes singuliers, attachants et vivants qu’illustre abondamment la peinture d’inspiration bretonne des xIxe et xxe siècles. Le littoral de la Bretagne et ses îles sont ainsi le creuset d’activités humaines et notamment des goémoniers. C’est ce sujet qu’évoque André Cariou dans son livre L’or brun des faucheurs de la mer. Ancien conservateur du musée des Beaux-Arts de Quimper, il a publié et consacré de nombreuses expositions aux peintres de la Bretagne et de l’École de Pont-Aven.

La célèbre et grande peinture de l’ancien Hôtel de l’Épée à Quimper réalisée par Jean-Julien Lemordant en 1907, aujourd’hui au musée de la ville,  illustre le ramassage de goémons. Il est le point de départ d’une recherche documentaire de l’auteur sur le thème des « faucheurs de la mer », qui a donné naissance à la publication de ce livre consacré à un thème unique dans la peinture occidentale.

Les étendues de goémons, des côtes sauvages de Quiberon à celles de la région de Cancale, sont tout à fait remarquables du sud au nord de la Bretagne et ont été exploitées par une population du littoral pour la production d’iode. Cette ressource marine contribua ainsi à une part non négligeable de l’économie locale. Elle servait à la fois  d’engrais, d’aliment ou de combustible, et son exploitation donnait lieu à des manières de faire bien particulières au cours des saisons. Il n’était pas rare de voir sur les grèves les paysans goémoniers et leur famille s’activer au ramassage, au transport, à l’épandage ou au séchage des algues sur les dunes. Une partie de ce goémon était récoltée en pleine mer, ramassée sur la grève après la tempête ou à l’occasion des grandes marées, nécessitant un effort important. Lorsque le réseau de chemin de fer se densifia vers 1870, les peintres se rendirent plus souvent sur la côte près de Pont-Aven ou Concarneau et trouvèrent leur inspiration dans ce thème.

Certains peintres, comme Paul Gauguin au Pouldu, qui ont prolongé leur séjour en Bretagne, ont pu voir, au cours de la déclinaison des mois de l’année, les goémoniers affairés sur la grève. Ce livre nous montre à travers un choix d’œuvres de plus d’une centaine de peintres actifs entre 1850 et 1950, comment ce beau sujet a été traité de multiples manières. Il fut d’abord abordé  sous les traits du romantisme, puis à la façon synthétiste à l’époque du post-impressionnisme. On retrouve ainsi les talents d’Alfred Guillou, de Paul Sérusier, de Maxime Maufra, d’André Dauchez, de Lucien Simon, d’Henry Moret et de bien d’autres comme Mathurin Méheut. L’artiste de Lamballe abordera le thème, lorsqu’à Roscoff, il travaille durant les années 1910-1912 à l’illustration d’un ouvrage, Étude de la mer, consacré à la flore marine. La représentation des goémoniers devient dans la peinture d’inspiration bretonne un des grands thèmes, à côté des scènes de Pardons, de marchés, de lavandières ou de pêche, qui montre de cette manière la vitalité de la création artistique en Bretagne pendant plus d’un siècle.