L’eau et la ville. Rennes, une histoire

Après le feu de l’incendie de 1720[1], voici l’eau des Rennais. Cet élément essentiel, souvent présent mais pas nécessairement là où nous le voudrions, porte un paradoxe existentiel. Porteuse de vie mais également de mort, on la souhaite comme on la craint.

Cet ouvrage de François-Xavier Merrien, sociologue, ancien professeur à l’IUT de Rennes et aux universités de Paris et de Lausanne, nous invite à plonger dans les eaux rennaises, principalement celles de la Vilaine « le cordon ombilical de la ville (p. 18) », et dans une moindre mesure, de l’Ille et des puits. L’auteur reprend ses travaux de 1994 et les enrichis considérablement en élargissant les thèmes et la période, comme le souligne Gauthier Aubert dans la préface. Il n’y a pas une eau, mais des eaux (brute, potable, domestique, industrielle, etc.) qui sont ici analysées.

L’ouvrage est divisé en quatre parties : l’empreinte des origines, les batailles de l’eau (fin XVIIe siècle-second Empire), la maîtrise des eaux et l’accès aux eaux pures, les réseaux souterrains. L’histoire et la sociologie des eaux est au cœur de ce riche et dense volume. Si Condate, le nom romain de Rennes, signifie confluent, la ville de Rennes a depuis la fin du XVe siècle manqué d’eau malgré le passage de la Vilaine.

La première partie s’attache à montrer, des origines à la Révolution, les fonctions de la Vilaine, la topographie de la ville coupée en deux par le fleuve d’où découlent des inondations incessantes et une sociologie marquée (p. 44), l’économie fluviale avec l’aménagement du cours d’eau vers Redon et l’Atlantique, et l’implantation ou la réfection d’écluses pour gérer le débit du fleuve. Le canal d’Ille-et-Rance est le premier chantier d’envergure de maîtrise fluviale aux portes de Rennes. Ces travaux permettent la navigation de petites embarcations, de la capitale bretonne à Saint-Malo à partir de 1832.

À suivre, sur une période plus courte de moins de cent ans, l’auteur expose dans un premier temps sa vision de Rennes après la Révolution, en tant que « majesté déchue » due au déclin du nombre d’industries et d’artisanats. Il en résulte que l’Ille-et-Vilaine est le département français comptant la plus grande proportion de mendiants en France en 1834 (p. 87). Un long chapitre explique la disposition et l’architecture des ponts et des ports, avec une riche iconographie, ainsi que le « peuple des berges » en référence aux lavandières, pêcheurs, promeneurs, etc. L’auteur démontre ensuite l’importance et l’intérêt de l’eau dans la ville basse qui permet la dégradation des détritus grâce à la fermentation, mais est aussi nécessaire pour la confection de l’amidon, le tannage ou le rouissage. Cette « civilisation fongique » perdure jusqu’au milieu du XIXe siècle, avec tous les inconvénients d’insalubrité et d’odeurs pestilentielles qui vont avec. C’est sans compter sur le combat des médecins hygiénistes qui fustigent cette eau croupie et cet air malfaisant. Selon les médecins et observateurs de passage, les habitants vivent dans une crasse infecte qui engendrent des maladies comme la typhoïde, marqueur social de malpropreté. La biographie de Toulmouche, le Villermé rennais, est mise en avant au côté d’autres médecins qui ont œuvré pour la salubrité de l’eau et de l’air (p. 168).

Est ensuite abordée la canalisation de la Vilaine, sans cesse repoussée, avec un tracé rectiligne qui aura suscité bien des remaniements. Le projet retenu est déclaré d’utilité publique en 1840, et les travaux débutent l’année suivante, pour une quinzaine d’années. Se poursuit un aménagement de la ville basse qui fait la part belle aux rues plus larges permettant une meilleure circulation de l’air. Couplé avec une délocalisation des activités polluantes en dehors de la ville et une canalisation des eaux usées, la ville basse devient plus attractive. Avec la couverture de la Vilaine par des dalles de béton sur le tronçon du centre-ville, on soustrait l’eau à la vue. Cette eau, qui n’était pas étrangère à l’implantation de la cité rennaise, a laissé place à un urbanisme toujours plus conquérant pour accueillir une population qui s’est accrue rapidement à partir de 1856.

Enfin, la quatrième partie traite de l’approvisionnement en eau et de l’adduction d’eau, défi majeur de la municipalité à la fin du XIXe siècle. Le précieux liquide a été trouvé à 42 kilomètres au nord-est de Rennes, non sans opposition de la population locale. Les travaux sont colossaux, l’endettement considérable, mais ils permettent l’acheminement journalier de 12 000 mètres cubes d’eau (p. 244). Le prix à payer pour les habitants est non négligeable et la profession de porteur d’eau reste essentielle pour nombre d’habitants. Achevée en 1883, la distribution d’eau, avec la mise en place d’égouts d’évacuation, permet aux Rennais d’entrer dans la modernité et de tourner le dos à des siècles d’eau rare et d’insalubrité.

L’eau, sujet en apparence ordinaire et anodin, est traité ici avec tous les égards d’un éminent spécialiste. C’est tout « le rapport de l’homme à l’eau, au propre et au sale » qui est décrit ici comme le souligne Michel Lagrée dans la préface de 1994. Peu abordée, l’eau nourricière aurait mérité une place plus importante, comme celle qui entre dans la confection du pain, pour couper le vin ou le cidre ou pour la cuisson des aliments.

L’identité des beaux livres des PUR, à savoir la trilogie : un texte érudit, une abondante bibliographie, une riche iconographie, est ici respectée. C’est un moyen didactique de s’approprier l’histoire, la géographie et la sociologie du passé de Rennes sous un angle peu commun.


[1]. Aubert, Gauthier. Rennes. 1720. L’incendie, Rennes, PUR, 2020.