Jeanne Malivel. Une artiste engagée, par Olivier Levasseur
Avant-propos de Lucile Trunel
Introduction de Pascal Aumasson
Châteaulin : Éditions Locus Solus, 2023 (191 p. ill. 27 €).
Le nom de Jeanne Malivel (1895-1926) est intimement lié au groupe des Seiz Breur dont elle fut l’une des personnalités fondatrices. Ce groupement de jeunes artistes de Bretagne est créé en 1923 dans le but de renouveler la création régionale, et d’apporter une contribution moderne à l’art d’inspiration bretonne. Dans cette monographie remarquable, Olivier Levasseur nous livre une vue d’ensemble de la carrière de Jeanne Malivel, et accompagne son propos richement documenté d’une abondante iconographie, de sources archivistiques et d’une bibliographie étoffée. L’auteur reprend la chronologie du peintre en insistant sur les points forts de son existence, de sa formation initiale à la reconnaissance de son talent. Ce livre trouve aussi son intérêt par les reproductions d’œuvres de Malivel issues de nombreux musées et de collections privées, pour certaines inédites. Après l’ouvrage d’Octave-Louis Aubert paru en 1929 et préfacé par Maurice Denis, le livre aujourd’hui édité par les éditions Locus Solus de Châteaulin contribue à mieux faire connaître la personnalité attachante de Jeanne Malivel comme artiste engagée pour la Bretagne.
Élève à l’Ecole des Beaux-arts et à l’Académie Jullian en 1917, elle a pour condisciples des jeunes peintres comme Creston, Bouillé ou Quillivic. C’est à cette époque qu’elle fait la connaissance de Maurice Denis, touchée par le mouvement des Nabis, mais aussi guidée par son attrait pour les mouvements de renaissance de l’art sacré, comme la Gilde Notre-Dame, à laquelle elle adhère à l’âge de 22 ans. Très tôt, elle se passionne pour la langue bretonne, devient une militante engagée pour la reconnaissance des particularismes régionaux, et participe aux activités de l’Union régionaliste bretonne. À l’occasion de sa première exposition au congrès de l’URB en 1920, cette native de Loudéac fait la connaissance d’artisans, menuisiers ou tisserands de Quintin et d’Uzel, d’où naîtra sa vision d’un art breton moderne et populaire. Elle cultive dès lors un intérêt très marqué pour les arts décoratifs et les arts appliqués et fait de la formule « le beau dans l’utile » un principe directeur qui guidera toutes les créations de sa courte vie d’artiste. Elle est décédée à l’âge de 31 ans. Elle contribue à la conception d’ensembles de mobiliers, de textiles d’ameublement et de broderies, et participe en 1922 à l’Exposition d’art régional des arts appliqués organisée à Rennes. À côté de quelques réalisations de céramiques chez Henriot à Quimper, elle porte un grand intérêt à la gravure sur bois et l’imagerie en général, domaine dans lequel elle excelle avec talent. Encore jeune élève aux Beaux-Arts, elle fréquentait la bibliothèque Forney de la ville de Paris, connue pour son admirable fonds consacré aux métiers d’arts et à leurs techniques, pour y consulter les ouvrages de référence sur la gravure et améliorer sa technique. Le livre d’Olivier Levasseur développe cet aspect original de l’œuvre de Jeanne Malivel, et consacre plusieurs pages à la gravure en Bretagne dans l’entre-deux-guerres. Sans doute faut-il souligner que la gravure sur bois connaît à cette époque un regain d’intérêt avec l’influence de l’estampe japonaise et les mouvements d’avant-garde qui lui trouve par son rendu fruste, primitif et rustique, un attrait considérable. Cet aspect est d’ailleurs remarquable, dès 1909, dans toutes les gravures que Derain va apporter aux illustrations de L’enchanteur pourrissant, œuvre de Guillaume Apollinaire issue de la légende arthurienne. Jeanne Malivel devient une illustratrice des œuvres de Jean-Pierre Calloc’h , des ouvrages publiés par les éditions de la Maison de l’Hermine de Camille Le Mercier d’Erm et surtout l’illustratrice de l’Histoire de notre Bretagne (1922) pour laquelle elle produit plus de 50 bois gravés et qui demeure une œuvre de référence pour les gravures de Malivel.
Dès son entrée dans le groupe des Seiz Breur, Jeanne Malivel s’affirme comme une artiste active et déterminée à renouveler l’art populaire breton. Elle conçoit ce groupe comme une confrérie d’artistes et d’artisans, selon la même idée développée en Angleterre plusieurs années auparavant par le mouvement artistique Arts & Crafts. C’est donc avec un fort désir de conduire ce courant artistique réformateur vers des conceptions nouvelles des arts décoratifs que Jeanne Malivel s’engage et participe à la réalisation du stand des Seiz Breur à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes qui se déroule à Paris en 1925.
Ce livre, qu’éditent les éditions Locus Solus, est une monographie qui fera référence et a été publié avec le soutien de l’Association des amis de Jeanne Malivel. Il accompagne, par ailleurs, l’exposition « Jeanne Malivel, une artiste engagée » présentée de mars à juillet 2023 à la Bibliothèque Forney où Jeanne Malivel était inscrite comme lectrice depuis le 20 janvier 1920.
Jean-Guillaume Bouchaud