1709. L’année où la Révolution n’a pas éclaté

Le titre de cet opus annonce autant un fait qu’une question. La Révolution n’a pas éclaté, certes, mais pourquoi ? C’est tout l’enjeu de ce livre passionnant de notre ami Gauthier Aubert, professeur d’Histoire moderne à Rennes 2, et spécialiste des faits de société. Nous pouvons d’ailleurs rappeler deux de ses ouvrages proches de celui publié aujourd’hui : Révoltes et répressions dans la France moderne (Armand Colin, 2015) et Les révoltes du papier timbré, 1675. Essai d’histoire événementielle (PUR, 2014).

L’introduction fait notamment le rappel des précédentes crises, bienvenue pour mettre en perspective ces moments qui ont fait trembler la société tout entière. Les historiens postérieurs ont parlé d’effondrement, d’abîme. Tous les secteurs, civils comme religieux, ont été touchés, sans omettre une intense activité diplomatique sur fond de succession au trône d’Espagne.

Le livre est découpé en quatre chapitres reprenant le fil des saisons. Chose remarquable, l’auteur invite le lecteur, à chaque début de chapitre, à écouter de la musique classique en lien avec la saison. Par exemple, l’hiver glacial s’accompagne de L’Hiver de Vivaldi ou L’air du froid dans le Roi Arthur de Purcell. L’immersion dans l’époque avec ses ressentis est plus prégnante encore.

La première saison abordée est justement l’hiver dont on sait que c’est en grande partie durant ces mois que les événements vont laisser leur empreinte sur le reste de l’année à venir. L’auteur fait commencer le début de son récit le 8 décembre 1708 avec la prise de la citadelle de Lille par les Anglais et leurs alliés. Puis en janvier 1709, c’est le début du froid qui s’abat sur toute la France au point de mettre en danger la soudure des grains et la récolte à venir (p. 43), et donc l’alimentation en pain du plus grand nombre. Les animaux, petits et grands, meurent dans des proportions inédites. Ce Grand hyver, l’un des plus rudes de notre histoire moderne, marque les corps et les esprits, y compris en Bretagne qui reste cependant moins affligée que les autres provinces. La fin de l’hiver marque le début des émeutes, souvent citadines excepté Paris, pour réclamer des grains et surveiller les accapareurs de grains.

Le printemps avance, toujours avec la pénurie des grains. « Le salut de l’État dépend presque des subsistances », selon la formule de l’intendant d’Amiens (p. 39). Il est trop tard pour semer du froment, alors l’orge devient la céréale salvatrice. Le roi et l’État doivent montrer l’exemple par des dons de grains et d’argent, ainsi que par des textes réglementaires. Ces textes, souvent positifs pour le peuple, n’empêchent pas celui-ci de faire connaître des contestations fiscales (p. 56). Le déficit de l’État devient important, et le recours à l’emprunt nécessaire.

Les trois mois estivaux sont consacrés aux affaires de l’orge, abondante. Les révoltes ne cessent pas pour autant. La bataille de Malplaquet, en septembre 1709, est perdue par les Français, mais pas sur tous les fronts (p. 87). La chanson Malbrough s’en va-t-en guerre est une revanche, du moins en paroles.

Le chapitre sur les trois mois d’automne débute par un retour en arrière et une mise en perspective. C’est sans doute la saison la plus calme sauf pour la moitié de la population marquée par des mois de privation. Les plus indigents souffrent d’épidémies, d’abord de dysenterie, puis de typhus. La surmortalité cumulée sur l’année 1709 est effroyable, mais moindre que lors des deux derniers épisodes du XVIIe siècle (p. 97). Des prières publiques sont organisées ici et là en espérant éloigner l’ire de Dieu. De son côté le roi condamne le jansénisme.

Les deux hommes de l’année 1709 auront été Nicolas Desmarets, contrôleur général des finances, et le maréchal Claude de Villars, chacun dans ses prérogatives. Est abordée enfin, et plus brièvement, la suite des événements.

L’année 1709 aura été horribilis, mais pas au point de faire chavirer l’État royal dans une Révolution, malgré un roi Louis XIV vieillissant. Comme à chaque fois dans les faits de société, il n’y a pas une seule cause à un problème, mais une conjonction de faits qui sont ici très bien rendus, avec de nombreux exemples. Mais le livre se transforme en essai dans les dernières pages quand Gauthier Aubert nous propose deux scénarios alternatifs qui auraient pu avoir des conséquences bien différentes sur le cours de notre histoire. Le premier prend l’angle d’une défaite totale à Malplaquet en septembre, et le second imagine une foule que l’État ne parvient pas à calmer avec les conséquences induites.

Une riche bibliographie ainsi qu’une sélection de sites internet permettent au lecteur d’approfondir ses connaissances sur la fin de règne de Louis XIV.

Gauthier Aubert a le sens du descriptif avec une plume dynamique et pour objectif une finesse de l’analyse sociale. Ce livre est haletant comme un bon roman !